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20 octobre 2017 : la Vénus de la grotte Chauvet


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20 décembre : l'art se rencontre
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« A thing of beauty is a joy for ever…. »

    36.000 ans déjà, frêle, fragile, d’une fraîcheur de la veille : le tracé au doigt d’un cheval au galop dans la matière molle de la paroi (toujours aussi molle) ; la vigueur et la vie d’un dessin direct et sans essai, sans repentir, couleur blanche sous le jaune de surface.

    2.000 ans, la trace des doigts du potier dans les amphores de Vaison.

    Aujourd’hui, autre féérie, les photos qui viennent au toucher des doigts sur l’écran de nos smartphones – l’éphémère actuel….

    Un profond émerveillement m’a saisi en découvrant les œuvres pariétales de la Grotte Chauvet, restituées en fac-similé à la Caverne de Pont d’Arc. On a beau s’y être préparé longuement, avoir vu d’autres grottes, le saisissement est total. Seul m’a vivement manqué le sentiment d’entrer dans une vraie grotte et de s’y enfoncer jusqu’en ses parties reculées. Ici, sur une large passerelle, on visite un espace muséal soft, de largeur et de hauteur constante, sec et à 18-19°, selon une succession de pans d’exposition. C’en est donc finie de la distribution géographique de la grotte dans son étirement complexe de salles, tantôt basses, tantôt très élevées, tantôt étroites…. jusqu’à 250m de profondeur. Ici le scénario n’est qu’un enroulement en colimaçon, en labyrinthe qui se ramasse dans un grand rond en béton. Si bien qu’il est impossible d’imaginer la réalité de la grotte elle-même, comme le décrit le livre : « la succession des thèmes animaliers, la structuration de l’espace souterrain et les choix de couleur depuis l’entrée de la grotte jusqu’à sa partie la plus reculée, tout comme le lent crescendo artistique au fil des salles et des parois, (constituant ainsi) une forme de cheminement savamment orchestré, destiné à préparer au choc final, à la révélation la plus bouleversante … Le visiteur se sent happé par les panneaux monumentaux qui se déroulent dans la Salle du fond, et saisi par le foisonnement d’images qui s’offrent à lui : sur les parois d’une admirable teinte dorée, félins, mammouths, rhinocéros, bisons et chevaux éclaboussent la cavité de leur beauté, de leur force, de leur vitalité…. Ultime recoin de la grotte-sanctuaire… Jusqu’au fond de la Salle du fond… : l’œuvre la plus mystérieuse, son symbole le plus troublant. Deux jambes féminines et un triangle pubiens ont été tracés au fusain de charbon de bois sur un pendant rocheux*, comme enlacé à la figure d’un bison au membre inférieur fondu à l’une des jambes. … Derrière, la figure d’un félin qui surplombe l’ensemble…. » » (‘Le premier chef-d’œuvre de l’humanité’ Synops 2014)

* Ce pendant rocheux, cette corporéité de pierre coule depuis le plafond pour se terminer en pointe, jambes ramassées, à environ 1,10m du sol ; elle occupe une position privilégiée au fond de la Salle, car toute personne avançant y arrivait directement ; or cette belle coulée rocheuse, ‘descendue du Ciel’ comme l’apparition d’une femme, est ample et généreuse dans sa masse (évasée aux hanches et rétrécie à la taille, avec le tracé du cou du lion), tandis que le dessin du sexe et des jambes vient s’y inscrire en confirmant et redoublant cette donnée rocheuse, à laquelle s’enlace le bison et que surmonte le félin. (J’ose ici la lecture d’un sculpteur).

    Il y a longtemps que trottait dans ma tête cette image de la vulve et des jambes d’une femme, suite aux premières publications de la découverte de la Grotte Chauvet, en 1995 ; toutefois je pensais que c’était là un dessin très audacieux, venu quelque part dans cette grotte, inopinément et hors contexte. Puis j’appris qu’elle était vers le fond ; mais même en visitant la Caverne moderne du Pont d’Arc (ce 23 mai dernier), en grand désir de trouver cette fameuse Vénus, je ne savais trop où elle serait dans ce labyrinthe. Et me voilà très déçu : je ne l’ai même pas vue ! Pourquoi ?

    Une fois la visite achevée (très chronométrée) et notre groupe sorti de la salle du Fond… (un fond qui donne dans l’entrée ! preuve qu’on est égaré dans la répartition géographique de ces salles – par différence avec Lascaux2 qui est fidèle), je me suis donc permis de demander à notre guide : ‘Et la Vulve ?’. Elle me répond : je ne vous l’ai pas montrée, parce qu’elle est mal visible (ce qui est faux) et parce que, lors d'une visite précédente, j’ai eu beaucoup mal à convaincre un visiteur qui refusait d'y voir une vulve ! Quelle curieuse pudeur pour une guide ! Elle ajoute, pour se disculper, qu’il y a six vulves dans la Caverne (aucune ne nous ayant été montrée !). Cette réponse me semblait d’autant plus étonnante qu’à un autre moment, la guide nous avait longuement expliqué le rhinocéros femelle avec sa très grande corne et sa petite queue relevée au dessus de son sexe, prête à recevoir le rhinocéros mâle dessiné derrière elle… - ‘je vous laisse deviner la suite’.

    Là un acte de saillie de deux rhinocéros, ici l’entrejambe d’une femme à laquelle s’enlace un bison, et prolongée par un félin. Mais ici - ce que notre visite ne mentionnait pas - c’est le seul élément humain dans ces vivacités et férocités de grands faunes – la femme, le sexe de la femme, qui se donne tout au bout de la grotte, tout au fond de la Salle du fond – au plus reculé de cette nuit profonde – à l’intime et profond de son sexe**.

** En couverture du Hors-Série du Monde sur la Grotte Chauvet (juin 2015), le pendant rocheux de la Vénus est accompagné de félins et bisons, mais évite soigneusement de laisser voir le sexe (comme nos statues et peintures, depuis l’Antiquité, au ras des poils, ou sans pilosité ni fente). Décidément, cacher ou/et montrer ce sexe de la femme, le reconnaître ou le taire, n’est-ce pas toujours la grande affaire, depuis notre héritage grec et biblique ? (cf. mon site p.12).

N.B. Jusqu’à la découverte très récente du rôle fécondant de l’homme (les spermatozoïdes), la femme, sur des millénaires, a été La Puissance de la vie, la seule qui donne la vie. On peut donc imaginer le respect que devait représenter cette figuration de la femme en son sexe au fond de la grotte Chauvet. Et comment s’étonner qu’en cette vénération de la ‘Reine de la nuit’, elle semble ‘mener la danse’ de tous ces faunes qui courent depuis elle, et non pas vers elle - « éclaboussée de la beauté des animaux, de leur force, de leur vitalité… »

    Avec Jean Clotte, le ‘Patron’ de Chauvet et du Pont d’Arc, on constate que le chamanisme est devenu très à la mode. Je reste moi-même fort sceptique. Car ici, telle que l’œuvre pariétale de cette grotte est structurée, jusqu’au fond de la Salle du fond, comment imaginer des cérémonies chamaniques centrées sur cette femme offerte au bison et aux félins ? Et surtout, comment entretenir autour de cette hypothèse chamanique, la persuasion d’une dimension spirituelle en acte (ce dont on ne sait absolument rien).

    A mon sens (ma sensibilité de sculpteur), il est vain de s’illusionner de chamanisme et de se payer à bon compte de spirituel, quand il importe de reconnaître la force d’un geste d’art, son imprévu, son inexplicable, son mystérieux. Car comment ne pas admirer ici, à Chauvet comme à Lascaux et Altamira, ce qui relève d’abord du geste génial d’un Maître peintre absolument exceptionnel, comme devait l’être Michel-Ange ; et bien plus encore, double différence avec Michel-Ange : 1° un artiste habité du désir de la femme, obsédé par l’enjeu de la procréation et la fécondité, et 2° un artiste familier de la force et la vitalité des grands animaux redoutables (antérieurement au Néolithique et sa domestication des animaux, tandis que disparait l’art pariétal). J’admire cet artiste d’il y a 36.000 ans, hanté par ces grands animaux, mais sachant en maitriser et dominer la peur par la force même de son œuvre (cf. 20 du mois d’octobre 2015 : le bestiaire des hommes préhistoriques). On imagine bien que cet artiste, dans la nuit de la grotte, devait pleinement maîtriser la mémoire visuelle des animaux qu’il avait observés à l’extérieur (formes et mouvements), tel le jeune Rodin dont le professeur de dessin lui faisait visiter les animaux du Jardin des Plantes et huit jours plus tard demandait à l’élève de les reproduire.

    J’ajoute mon étonnement d’apprendre que cette grotte a été parcourue par les hommes en deux temps (sans jamais être habitée), autour de 36.000 et autour de 31.000 (avant qu’elle soit définitivement fermée par un éboulement de l’entrée il y a 21.000 ans) : les premiers ayant paré magnifiquement cette grotte, les second n’ayant rien touché de cette œuvre de leurs prédécesseurs - serait-ce en contemplation silencieuse, autant que nous.

    Et combien me touche le cri d’Eliette Brunel, l’une des trois spéléologues qui n’en revenaient pas de découvrir cette grande grotte encore nue à leurs yeux, ne sachant donc qu’en penser, jusqu’à qu’elle voit sur la paroi deux petits traits peints à l’ocre rouge, et qu’elle lâche : « Ils sont venus ». Oui, des humains sont venus ici… pour peindre et dessiner… Cri d’une femme, exactement comme celui de la petite Maria découvrant les ‘toros’ d’Altamira : femmes, femmes en leurs profondeurs sensibles.

‘L’Homme est entré sans bruit’ disait Teilhard de Chardin, signifiant qu’entre l’Homme et les autres primates seule l’activité cérébrale offrit une nouveauté décisive, originaire de la divergence évolutive des uns et des autres : Sapiens, Cro-Magnon…. et aussitôt, comme à Chauvet il y a 36.000 ans, une profusion étonnante d’expressions d’art – une extraordinaire modernité conceptuelle.

Et fruit du désir, fine fleur sensible de cette profusion d’art : la femme.